Que serait le pays sans association ? Le président du CRAJEP (Comité régional des associations de jeunesse et d’éducation populaire) de l’île de la Réunion imagine les 24 heures glaçantes qui suivraient la fin des associations.
Dans une lettre ouverte à la presse de la Réunion, Guillaume Robert, président du CRAJEP de l’île se lance dans une fiction dystopique en réaction aux annonces des coupes budgétaires envisagées du budget national 2026.
Et si les associations cessaient de fonctionner... Une sorte d’oraison funèbre qui fait prendre conscience de la place centrale des assos dans notre quotidien.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour pleurer une amie, une sœur, une bâtisseuse de liens : la Vie Associative.
Elle s’est éteinte cette nuit, à 00h00, usée par l’indifférence, épuisée par le manque de soutien. Et dès sa mort prononcée, les conséquences se sont abattues comme une lame. Voici le journal tragique des 24 heures qui ont suivi son décès.
00h00 — Silence dans les rues.
Les maraudes ont disparu.
Plus personne pour tendre une soupe chaude ou un regard humain à celles et ceux qui dorment dehors.
La nuit devient plus froide, plus longue, plus invisible.
01h00 — Le téléphone ne sonne plus.
La ligne d’écoute des femmes victimes de violences ne répond plus.
Le bénévole qui veillait avec douceur sur des détresses immenses a raccroché.
L’isolement gagne du terrain.
03h00 — Les veilleurs de nuit ont déserté.
Dans les centres d’hébergement, les associations qui géraient la rotation du personnel ne sont plus là.
Les portes restent fermées, les lits vides. Les sans-abris dorment dehors.
05h00 — Le camion de distribution alimentaire ne part pas.
Plus de collectes, plus de logistique, plus de petites mains pour charger, trier, livrer.
Les frigos des associations sont vides. Les ventres aussi.
07h00 — L’école ouvre sans soutien.
Les bénévoles du soutien scolaire ne viendront pas.
Les enfants décrocheurs resteront en arrière. Les parents isolés resteront seuls.
Les inégalités s’aggravent.
09h00 — Les personnes âgées n’ont plus de visite.
Les associations de lien social n’ont plus de forces vives.
La solitude gagne les maisons. Les visages se ferment. Les silences s’installent.
11h00 — Le centre de loisirs reste fermé.
Pas d’animateurs, pas de jeux, pas d’éveil.
Les enfants restent devant les écrans. Les familles seules doivent improviser.
La culture, le vivre-ensemble, l’imaginaire s’effacent.
13h00 — Les repas partagés n’ont plus lieu.
Plus de tables ouvertes pour les plus précaires, plus de cuisine solidaire, plus de chaleur humaine.
L’inflation isole, et plus personne ne tend la main.
Lettre ouverte – les associations et l’éducation populaire en phase terminale – août 2025
15h00 — Le planning familial baisse le rideau.
Éducation à la sexualité, prévention, accompagnement… tout s’éteint.
Les jeunes restent sans réponses, les femmes sans recours. La santé publique chancelle.
17h00 — Les médiateurs de quartier ne viendront plus.
Les tensions montent, les conflits s’enveniment.
Personne pour dialoguer, apaiser, construire la paix.
La République perd pied là où elle avait encore un visage.
19h00 — Les portes du club de sport sont closes.
Plus de hand, plus de foot, plus de danse.
Les jeunes traînent, errent, cherchent une échappatoire.
La violence gagne ce que le sport préservait.
21h00 — Les salles de réunion sont vides.
Les débats citoyens, les comités de quartier, les assemblées générales n’existent plus.
Les idées ne circulent plus. La démocratie de proximité meurt à petit feu.
23h00 — L’ultime lumière s’éteint.
Les bénévoles sont partis.
Les jeunes volontaires ne peuvent plus réaliser leurs missions
Les associations ne sont plus.
Le tissu social est effiloché.
La République est nue.
Et demain ?
Demain, ce sera un pays plus dur, plus froid, plus violent.
Un pays où la solidarité ne sera plus un acte collectif mais un souvenir lointain.
Alors oui, nous faisons le deuil aujourd’hui.
Mais nous appelons, solennellement, à un sursaut.
Il est encore temps.
De sauver ce qui peut l’être.
De donner les moyens à ces femmes et ces hommes qui tiennent le pays debout.
De reconnaître, soutenir et défendre les associations avant qu’il ne soit trop tard.
La Vie Associative n’est pas morte.
Pas encore.
Mais elle agonise.
Et nous n’avons plus le luxe d’attendre.
ROBERT Guillaume
Président du Crajep Réunion